Le deuxième jour de Pessa‘h – 16 nissan – nous entamons le décompte des quarante-neuf jours du ‘omèr, aboutissant à Chavou‘oth.
Cette supputation nous a été enjointe par Hachem (Wayiqra 23, 15) : « Vous compterez pour vous – du lendemain de la fête, du jour où vous aurez apporté le ‘omèr du balancement – sept semaines ; elles seront complètes. »
Expliquant les motifs des commandements et leurs modalités d’application, le Séfèr ha-‘Hinoukh commente ainsi cette mitswa : Le principe vital d’Israël est la Tora, en vue de laquelle ont été créés le ciel, la terre, et Israël lui-même, comme Dieu l’a attesté (Yirmeya 33, 25). Telle est la raison pour laquelle il a été délivré de l’Egypte ; afin d’accepter la Tora au mont Sinaï et d’observer ses commandements, comme Hachem l’a signifié à Moché au Buisson ardent (Chemoth 3, 12) : « Quand tu feras sortir le peuple de l’Egypte, vous servirez Dieu sur cette montagne. »
La Tora étant le principe vital en vertu duquel nous sommes devenus Son peuple, il nous est enjoint, dès le lendemain de Pessa’h – jour de notre libération de l’esclavage, et par là même, de notre « naissance » nationale – de compter les jours et les semaines nous menant à Chavou‘oth, anniversaire du don de la Tora. Ces sept semaines représentent donc la période de notre « maturation », depuis notre émergence jusqu’à notre engagement à respecter l’alliance qui a conditionné notre existence.
Autrement dit, cette époque nous a permis de passer de l’enfance à l’âge adulte.
En hébreu, le mot gadol désigne le « grand », mais aussi la personne « majeure », désormais capable d’organiser sa vie avec constance et cohérence. Gadol est issu de gad, qui dénote la continuité. En cela, il s’oppose au qatan – « petit » – dérivé de qat, connotant la qit‘iyouth, la « fragmentation » et la discontinuité.
La vulnérabilité de l’enfant ne réside pas tant dans l’immaturité intellectuelle ou rationnelle que dans l’incapacité à la persistance dans les actes et pensées, dans les humeurs et l’aptitude décisionnelle. A l’inverse, l’adulte s’attache à imprimer une stabilité à sa vie et une cohérence à ses actes, pour leur conférer une consistance et une valeur. Car un acte louable, mais isolé et sans lendemain, ne compte guère, et les grandes décisions restées sans suite ne résistent pas à l’érosion du temps.
Etre gadol, c’est donc être capable d’unifier et d’harmoniser tous les instants de notre vie, et de les faire fusionner en authentiques réalisations, en une expérience cohérente et édifiante.
De même le fait de « compter » revient-il à transformer des chiffres en un nombre, à « souder » des unités distinctes en un même faisceau. En « comptant » les jours du ‘omèr, nous les plaçons dans une même progression menant au but exclusif de notre naissance, et sur laquelle nous acquérons la maturité nécessaire pour accepter dûment la Tora.
Compter les jours depuis Pessa’h jusqu’à Chavou‘oth revient à prendre conscience de ce que doit être notre véritable « émancipation » – selon les deux acceptions de ce terme : notre passage de l’esclavage à la liberté, et celui par lequel nous quittons notre statut de qatan (« mineur ») pour assumer de notre propre chef notre acceptation de Son alliance.
Profitons donc de cette période pour y poser les jalons indispensables à l’acquisition de notre « majorité », pour y devenir des adultes, capables de nous diriger nous-mêmes dans la vocation qui est celle de notre peuple !
Rav Dov Roth-Lumbroso