Deux versets, un livre entier…
La section de Beha‘alothekha est marquée, dans les rouleaux de la Torah, par une particularité scripturaire largement commentée dans nos sources. Le paragraphe formé des versets 35 et 36 du dixième chapitre de Bamidbar, est introduit et suivi d’un noun renversé , et se retrouve ainsi séparé de ce qui le précède et lui succède :
« Ce fut, lorsque l’arche partait, Moché disait : “Lève-Toi, Hachem, et que Tes ennemis soient dispersés, et que fuient ceux qui Te haïssent de devant Toi !” Et quand elle faisait halte, il disait : “Reviens, Hachem, [parmi les] myriades des milliers d’Israël !” »
Cette singularité est expliquée dans le traité Chabbath (116a) : Selon une première opinion, ce paragraphe n’est pas à sa place, laquelle serait plutôt dans la paracha de Bamidbar, qui relate les déplacements de l’arche. Pour Rabbi, en revanche, il est à sa place, mais il équivaut à un livre de la Tora à lui seul. Le ‘houmach Bamidbar est ainsi formé de trois parties, et la section de 85 lettres comprise entre les deux noun renversés est donc la deuxième d’entre elles. Suivant un troisième avis, cette spécificité graphique est destinée à marquer une séparation entre le premier et le deuxième malheurs ayant fait suite aux défaillances d’Israël. Quel est le premier ? « Ils partirent de la montagne de Hachem » (10, 33), signifiant, pour nos Maîtres, qu’« ils se détournèrent de Lui». Et quel est le deuxième ? « Le peuple fut comme gémissant… » (Bamidbar 11, 1).
Dans la première partie du livre de Bamidbar, juste après avoir reçu la Tora, les enfants d’Israël avaient atteint un niveau spirituel qui les rendait aptes à entrer en Terre promise. Sur le verset susmentionné : « Ils partirent de la montagne de Hachem pour un chemin de trois jours… », le Sifri explique en effet qu’ils ont alors parcouru en un seul jour un trajet qui aurait dû en durer trois, car Il voulait les introduire immédiatement dans le pays. Mais en s’empressant de quitter la montagne, ils se sont comportés comme « un jeune enfant qui s’enfuit de l’école ». Ce faisant, ils ont amorcé leur séparation d’avec Hachem. Et dans la troisième et dernière partie de Bamidbar, « le peuple fut comme gémissant », et il a accru cet éloignement.
Il fallait donc un paragraphe indépendant pour marquer une pause entre ces deux malheurs, ou plus exactement, une entité médiane nous informant que Hachem peut revenir vers nous : « Reviens, Hachem, [parmi les] myriades des milliers d’Israël ! »
Commencer de se plaindre, de « gémir », c’est entrer dans un cercle vicieux, c’est entamer un cycle infernal qu’il faut interrompre au plus vite, sous peine de s’éloigner de Hachem sans retour. Mais comme nous le montre cette section de deux versets, même si nous avons commencé de quitter la voie divine, nous pouvons, par nos actes, « ramener » Sa Présence parmi nous, comme lorsque l’arche sainte nous accompagnait. Son propitiatoire était surmonté de deux chérubins qui, lorsque leurs visages étaient dirigés l’un vers l’autre, montraient que Hachem était tourné « vers nous » et nous était favorable. A l’inverse, après que nous nous sommes éloignés de Lui, les deux noun se sont « renversés » et se sont dirigés vers l’extérieur, marquant qu’Il a alors écarté de nous Sa face, jusqu’au moment où, en réponse à notre repentance, selon le Zohar, ces deux lettres symbolisant Son honneur se retourneront et s’orienteront vers nous. Faisons tout notre possible pour hâter l’avènement de ce grand jour ! Amen !
Rav Dov Roth-Lumbroso